Sonnerie répétitive d'un réveil, appel programmé de l'hôtel, mouvement rapide de Sylvie vers la douche… Anne ne peut que se lever. Les valises ont étés bouclées la veille et c'est sans heurts qu'à 5H - ¼ – régalée d'un miraculeux petit déjeuner servi à 4h30 tapante – elles récupèrent la clef de la voiture que leur tend l'employé de l'hôtel qui vient d'aller chercher le véhicule dans les soubassements. L'avance sur l'horaire est confortable. En vertu de l'heure et des dimanches en général, la ville est déserte. Tout va bien.
Sauf le GPS. Depuis le début du séjour il semble afficher une réelle incompétence ou bien une certaine incompatibilité avec les routes turques. Il voit des ronds points là où il n'en existe pas, il les précipite régulièrement sur des routes à sens unique, en cul de sac ou inexistantes, les déclare arrivées en plein milieu du parcours, annonce 500 km quand il y en a 2 avec détours, perds brutalement ses destinations et – depuis un certain temps – ne considère même plus nécessaire de communiquer et garde pour lui ses commentaires qu'il ne veut plus rendre activable.
Pour cette dernière destination il a décidé de leur faire prendre un axe exclusivement réservé au tramway.
Sylvie conduit, Anne essaie de guider, interprétant comme elle le peut le GPS et cherchant des itinéraires bis… enfin, Sylvie comprend qu'écouter Anne est leur seule échappatoire à une inévitable danse circulaire sans fin. L'avance prise se dissout vite. Mais elles finissent par avoir le dernier mot. Anne est juste un peu à cran ; lutter contre son stress, Sylvie ET le GPS, c'est un peu fort pour ce début de retour.
Elles arrivent. Mais ne trouvent personne pour réceptionner le véhicule. C'est dans le ton. Elles dépassent le problème en gérant l'enregistrement des bagages. Sylvie considère qu'un dépôt de clef au comptoir devrait largement suffire ; après tout ils ont son numéro de carte bancaire. Mais l'employé se manifeste et il faut entamer les procédures. Quelques va et vient, un malentendu ou deux engageant quelques frais imprévus, … cette partie se règle finalement pas trop mal mais leur laisseront juste le temps d'embarquer ; pas le temps de souffler. « Mais pourquoi donc les retours ne peuvent-ils jamais être sereins ? » pense Anne.
1h et quelque plus tard, c'est le changement d'avion. La pression est retombée, Elles ont eu le temps de relativiser ; après tout elles ont réussi à être dans l'avion et les bagages – quoiqu'il se passe – vont suivre, c'est déjà énorme. Mais là c'est du sérieux, il faut transiter.
Grâce au ciel c'est le même aéroport. Mais il ne faut jamais négliger les problèmes de circulation entre zone domestique et zone internationale ; la Turquie – même si ça n'est pas les États Unis qui sont actuellement parmi les pires dans le genre – n'est pas à sous estimer. Sortir, re-rentrer, re-passer le contrôle douanier et le contrôle des bagages à main… tout ça en ½ heure, relève de l'exploit.
Sylvie freine Anne qui ne comprend pas le parcours à faire et ne veut pas faire confiance à Anne qui bout. Sylvie leur impose 1 ou 2 détours avant qu'Anne ne s'agace vraiment et impose le chemin qu'elle suppose depuis longtemps être le bon ; ce petit risque de l'erreur fait toujours qu'Anne a du mal – à moins que le ton monte – à imposer à cette entêtée de Sylvie ce qu'elle a capté. Car Sylvie n'écoute qu'elle même et de temps en temps… elle même. Anne ne pourra imposer un avis, une proposition, un chemin qu'avec une forte affirmation clamée sans possibilités de discussions. La moindre hésitation et Sylvie n'écoute déjà plus. Mais au fait ! Elle n'écoutait pas !
Trêve. Là, Anne a pris la méthode, j'attrape la main, je tire très fort sans ménagement en affichant un méchant agacement. Elles trouvent vite. Et là ! Embouteillage.
Les files se mélangent en gros paquets devant 3 malheureux guichets où des agents méticuleux passent 2 à 6 minutes pour valider un passeport. Anne, mentalement, compare leur sortie de Chine, de Russie, du Brésil, … et soudain se rappelle que la douane Canadienne leur avait fait un sketch du même acabit.
Sylvie, comme à son habitude, slalome à petite allure, l'air de rien. Anne, contrariée, la suit de mauvaise grâce. Et bien sûre Anne se fait reprendre – en anglais – par une Slovaque. Anne jette un coup d'œil au dessus de la mêlée et – stoïque – ne dit rien. Ce n'est pas la première fois qu'il lui faudra assumer les « grattages de fil » de la Sylvie. Sylvie gratte, Anne – plus voyante – se fait apostropher. Sylvie n'en a cure et les protestations de Anne n'y ont jamais rien changer. Anne a fini par s'incliner et – résignée – s'attend toujours à cette obligation d'assumer pour deux. Respecter la file veut souvent dire louper le bus et prendre le suivant, arriver au guichet et s'entendre dire « complet ». Ne pas suivre Sylvie casse le binôme. Alors Anne suit et met son mouchoir dessus ; elle respecte les files quand elle est toute seule.
La femme, finalement, arrivera à récupérer la place qu'elle estimait être légitimement la sienne. Anne lui clamera, enjouée « you are the winner » car elle a du mal à ce que la communication ne soit pas établie, quoi qu'il en coûte. Il y aura un échange acide , sans haussement de ton, qui ressemblera à des amabilités. Sylvie qui n'y a rien compris, s'y ait trompé. « Vous aviez l'air copine toutes les deux ! » dit Sylvie à Anne. « Que tu crois ; elle me disait que des gens comme moi valaient mieux que ça reste chez eux, qu'on en avait besoin nulle part ». Et toi tu lui a dit quoi ? « Qu'elle avait qu'à aller au Japon ou en Angleterre si elle voulait des files parfaites et que je m'alignais sur le système turc, … je te passe les détails ».
Anne n'en veut plus à Sylvie de prendre à sa place des remarques de ce genre. Mais voilà, Sylvie ne se fait jamais apostropher ainsi alors qu'elle oui. Il y en avait pourtant du monde autour d'eux à agir ainsi. Anne, mastique, rumine et remâche tout un flot de pensées culpabilisantes qui pas à pas la propulse jusqu'aux douaniers. Décidant que l'incident ne devait plus lui gâcher les quelques heures de vol restantes, elle passe le barrage, et, dans l'élan, laisse derrière elle leur dernier grand voyage de l'année.