Peut-on appeler une nuit ce que nous venons de passer ? Nous nous levons à 3h30 du matin. Nous nous habillons à la hâte et bien sur c’est sans avoir petit-déjeuner que nous montons bonnes dernières dans un antique bus bondé, direction les geysers dEl Tatio. L’objectif, en partant si tôt, est d’y arriver à l’aube pour découvrir le site sous la lumière du soleil levant. Mais pour le moment, bien que couvertes de plusieurs couches de vêtements, nous sommes frigorifiées, surtout Sylvie qui, collée à la vitre, se recroqueville dans l’espoir vain d'y trouver un peu de chaleur. Nous passons deux heures sur une piste caillouteuse que notre chauffeur expérimenté parcours à toute allure ; pas moyen de trouver le sommeil, voir une somnolence qui nous ferait nous échapper mentalement de cette course dans le noir presque total. Nous passons même une rivière à gué dans un bringuebalement invraisemblable.
Grâce à cette course effrénée nous descendons, les yeux grands ouverts, dans la lumière à peine naissante pour arpenter, avec l’ensemble des autres passagers d’un nombre certain de bus identiques au nôtre sur le site du Tatio. Signalons au passage que c’est le plus gros ensemble de geysers des Andes. Nous devinons à peine le sol et les trous qui le perforent font jaillir des jets de vapeur d'eau. L'endroit est perturbant, énigmatique et capte toute notre attention. Nous avançons à pas mesurés. Se révèlent tout d'abord les silhouettes fantomatiques des autres personnes autour de nous qui, enveloppées de fumées blanches, donnent une ambiance de début du monde (ou fin du monde selon son humeur). Au fur et à mesure que monte le jour, outre le fait de voir enfin avec précision où nous marchons, cette ambiance s’évapore progressivement pour nous révéler la pleine beauté du lieu. Et l’on comprend pourquoi il était si important d’arriver si tôt.
Il y a des boues aux teintes infinies qui forment des structures très variées qui échappent à la description tant elles sont nombreuses. Mais essayons quand même. Tout d'abord il y a de curieux cônes aux parois boursouflées et grumeleuses, puis des cratères de sécrétions pétrifiées et apparemment sèches, des nappes ridées blanchâtres ou grises traversées de boues jaunâtres, brunes, oranges, ... des formes arrondies aux couleurs vives trempant dans un étrange liquide qui ne peut pas être que de l’eau ; cela sent fort et nous fait parfois suffoquer. Certaines surfaces donnent l’impression d’être veloutées, d’autres rugueuses et coupantes, d’autres encore ressemblent à de fragiles bulles explosées qu’il ne faudrait toucher au risque de les détruire. De toute façon, on ne touche pas ; tout cela, bien que d’une beauté renversante, respire le danger. Nous tentons, vainement, de tout photographier. Les compositions, riches, se transforment en tableau… indescriptible ! vous dit-on. Mais nous aurons essayer.
Il y a aussi des piscines naturelles faites d'eaux chaudes 38° - qui nous ouvrent leurs rives tentantes. Mais trop de monde y cèdent. Nous fuyons un peu plus loin profiter du spectacle ambiant, emmitouflées dans nos vêtements. Nous n’avons plus froid. Puis cela prend fin. Il nous faut abandonner le lieu qui retourne à sa quiétude glougloutante et crachouillante.
En fin de matinée, en redescendant, nous arrivons dans la vallée de Machuca, havre de verdure dans ce monde minéral. Nous sommes heureuses d’y voire d’autres oiseaux que des flamands roses ; ce n’est pas qu’on se lasse mais, passée la surprise, le fait dans voir tant les banalises - on a les pigeons qu’on peut 😉 On y voit aussi beaucoup de lamas en liberté ; ils sont élevés par les habitants du village portant le même nom que celui de la vallée et où nous nous rendons pour y prendre - enfin - un déjeuné. Au menu c’est brochettes de lama et empadas au « queso de cabra » (fromage de chèvre si vous préférez). A notre joie commune nous photographions les enfants et la cuisinière. Nous sommes heureuses de savoir que le passage des cars de touriste de retour des geyser font vivre une grosse partie du village. Ses constructions, typique, sont faites de briques de terre crue mélangée à un peut de paille ; en adobe autrement dit. Les toits sont en paille. L’église, tout aussi typique a les murs enduits à la chaux.
Le retour se fait à une allure plus calme qui, du coup, permet la somnolence. Nous avons chaud. Puis très chaud.