Ce matin, une petite ondée passe sur la quiétude du moment. Anne, impassible, laisse Sylvie cavaler vers la terrasse de leur chambre pour mettre à l'abri les affaires qui sèchent si mal dans cet air tropical. Toute à la satisfaction que se fasse les choses qui doivent l'être sans lever le petit doigt, Anne écoute les sons du matin débarrassés des musiques sans charme du café de la plage du Split où tout le monde se rassemblent à la nuit tombée, vers 17h. Il faut reconnaître que c'est un peu tôt pour fermer l'œil. Quand, sur le coup de 20h vous vous sentez le droit légitime à vous assoupir, vous avez la sensation d'être une couche tard. Puis votre corps, pas encore totalement remis du décalage horaire, vous réveille à des heures impossibles dont la dernière qui vous pousse à vous lever alors que l'île ne donne encore aucun signe de la moindre activité.
Sylvie s'active malgré tout. Anne, allongée, lézarde à sa lecture en ne trouvant plus aucune position confortable. Alors elle aussi se lève et toutes deux nous redessinons les contours de ce qui nous importe ; Sylvie parle à Anne des prochaines étapes, des confortables hôtels pittoresques qu'elle a sélectionnées juste pour son bien-être espérant ainsi retenir son attention. Anne signale le premier chant hésitant d'un oiseau, sa sensation immédiate ou d'un détail hautement significatif de leur périple en se demandant pourquoi Sylvie lui parle de ce soir, demain, voir plus loin encore. Puis nous tombons en entente devant les images enfin belles que Sylvie obtient sous l'eau. Nous refaisons mollement la valise ; rien ne presse. Anne se satisfait de constater qu'elle a raison ; ce jour est de la famille des transits, même si on ne part qu'à midi ; nous ne visitons pas, n'allons pas nager, n'allons pas explorer... c'est pas qu'il soit sans intérêt, mais elle a raison de ne pas vouloir le comptabiliser dans ceux de la famille des jours fastes. Nous bloquons dans la chambre, puis à la terrasse d'un café en face du débarcadère - forte chaleur et vent certain, avec petites crêtes blanches sur les vagues ; ça va secouer. Petit conseil dans ce cas là, ne pas prendre la mer l'estomac vide - puis dans la salle d'embarquement du taxiboat.
La navigation n'est pas palpitante mais plus confortable que prévu. Nous croisons à nouveau les palmiers qui semblent avoir poussé en pleine mer sans l'étonnement de l'aller.
De l'embarcadère à l'aéroport, Anne trouvent en notre chauffeur de taxi un interlocuteur de choix. Tous deux font un peu de géopolitique locale et dissertent sur les conséquences de celle-ci sur les différents types de patois qui cohabitent à Belize. Au cours de nos voyages, nous avons peu à peu bâti notre "légende" comme le feraient des espions, histoire de ne pas s'étaler sur notre lien réel. Cette fois si nous ne sommes plus sœurs mais amies d'enfances. Autant dire comme des sœurs, ce qui évite d'avoir à expliquer pourquoi nous n'avons pas le même nom et le fait d'être nées à 5 mois d'intervalle. En général, nos interlocuteurs, surtout mâles, ont du mal à comprendre que nous ne soyons pas mariés et que nous n'ayons pas d'enfants - qu'elle triste vie ! Franchement ! - donc, pour ne pas les chagriner nous avons maris et progéniture. Cette fois ci Anne est mariée à un chauffeur routier. Le pauvre ; il est tellement sur les routes, faut le comprendre, il a envie de se poser pendant les vacances. Alors il la laisse partir avec sa sœur de cœur qui a la malchance de n'avoir que des filles. Anne, la chanceuse a deux beaux garçons. Ils ont déjà quitté la maison et poursuivent de belles études très valorisantes. Au passage, Anne remercie ses frères, les vrais, qui lui offre sur ce terrain là toute la véracité possible ; il faut du vrai dans le faux pour ne pas s'emmêler les pinceaux. Anne, à sa grande déception, n'a pas eu le temps de broder sur le triste sort des deux filles de Sylvie. Peut-être même qu'elle aurait tué son mari ; ça lui aurait rendu la monnaie de sa pièce pour l'avoir "vendu" comme mère auprès des guides, hier. QUOI elle ne l'a pas fait exprès ? Anne demande à voir. L'avion qui nous emporte vers Flores n'a que cinq passagers pour ses dix places. Nous voyageons encore une fois comme dans notre salon. Nous avons cependant évité un désagrément de taille ; au guichet d'enregistrement, l'employé était gentiment en train d'envoyer nos valises à Guatemala City. C'est tout à fait incidemment que Sylvie s'en est rendue compte. A notre arrivée, l'aéroport INTERNATIONAL est désert. Le douanier qui s'emmerde ferme trouve une petite distraction en contrôlant nos bagages en se donnant de l'importance. Mais vite il se déride au spectacle de Anne qui extirpe du tréfonds de sa mémoire les quelques mots d'espagnol qui lui reste avec tout un registre de mimiques et de gestes dans la parfaite exubérance de celle qui ne doute pas même une minute qu'elle ait pu enfreindre une quelconque règle, même par inadvertance, effort incontournable puisque lui ne parle rien d'autre que l'espagnol. Tout comme l'employé de Hertz qu'il a fallu appeler par téléphone, ou les quelques personnes qui viennent discuter le bout de gras avec nous pendant qu'on attend l'arrivée de monsieur Hertz... Anne n'avait pas prévu cette plongée dans la langue espagnole, brutalement comme ça, sans bouée de sauvetage. La suite s'annonce épique.