Papillonnage photographique de pays en pays… Sylvie voit très bien où elle veut aller…. Anne tant bien que mal tente de la suivre. En tous cas elles y vont, 2 ou 3 fois par an, mais veulent en parler plus souvent que ça…
Une grande étendue de sel surplombée d'une extraordinaire palette de couleurs, c’est pour nous l’un des plus beaux endroits au monde.
Du 13 au 17 janvier 2011
5 jours
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Attente de l'ouverture de la frontière Hito- Cajon avec tous les routiers 

Sylvie, satisfaite, regarde leur nouveau chauffeur attacher avec professionnalisme les différents bidons sur le toit du 4x4. Avec tout le sens de la déduction qui la caractérise, elle évalue le plus discrètement possible – pas la peine d'alerter excessivement Anne qui se fait une quasi religion de prendre les événements pas-à-pas, ce qui arrange bien Sylvie – toutes les heures de dérives qu'elles vont avoir dans le désert de pierre étalé devant elles. Un sourire de bonheur lui échappe. Inquiète de l'éventualité d'être démasquée, elle jette un regard vers Anne. Ouf ; celle-ci, plantée devant quelques piafs qui la narguent, ne sait plus quoi faire entre avancer pesamment ou renoncer. Décidément Anne n'est pas prête à devenir photographe animalière. Quand on n'est pas doué, on n'est pas doué.

Crisu notre chauffeur prépare le 4/4  

Anne, dégoutée, garde son dernier pas en suspend ; pourquoi ce satané désert n'abrite t-il pas des tortues, des gros lézards amorphes ou elle ne sait quoi d'autre, mais des trucs sans ailes ni quatre longues pattes élastiques ? Voilà une bonne vingtaine de mètres qu'elle joue à avancer le plus lentement qui lui soit possible sur une bande de z'oizeaux qui se vautrent dans les déchets de la décharge en plein air du refuge où Crisu, leur chauffeur, prépare leur « vaisseau du désert ».

Elle va renoncer, elle le sent. Le problème, c'est qu'elle sent le regard de Sylvie qui bien entendu la jauge. Ce serait bien qu'au moins un de ces crétins de volatile s'envole pour que son honneur soit sauf, qu'elle puisse au moins faire une petite rafale. Ça la fait toujours une rafale sur des ailes déployées. C'est un énorme camion … d'acide sulfurique … qui la sauve. CLIC CLIC CLIC CLIC CLIC CLIC CLIC circulaire.

Un des nombreux camion d'acide sulfurique qui traverse la cordillère 

Inquiétant ça le nombre de ces camions qu'elles ont vu traverser la frontière en direction de leur Eldorado. Elle peut enfin se précipiter dans l'autre sens, vers cette préparation qui n'en finit pas. « Hola Crisu, puedo aiudar ? » (Ep Crisu, je peux aider ?). C'est qu'on se fait chier à attendre que le jeune cuisinier – Jose Luis Escobar de son petit nom – prépare la barbaque de ce midi dans la cuisine du refuge. « Sylvie no come carne Crisu ! » (Sylvie ne mange pas de viande Crisu) histoire de planter le décor et de paraître tout de suite sympathique.

Anne culpabilise vite de ses penchants aimables et tente une autre approche. « No ablo mui bien espagnol Crisu, tu sais ». Crisu, manifestement philosophe, verbalise à Anne qu'il va parler avec son karma et que si elle en fait autant, tout se passera bien. En gros, si tout le monde y met du sien, etc, etc.

Enfin tout est près, enfin elles partent, enfin.

 Volcan Jurique
 Laguna Verde et le volcan Licancabúr - 5960 mètres
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 Vous êtes prêtes les filles pour une aventure inoubliable ?

Anne est soulagée ; elles ne prennent pas la même route que les camions d'acide sulfurique ; ça ne les fait pas disparaître, mais ça lui enlève une idée néfaste de la tête. La tête qui lui fait mal. Elle n'a qu’à fermer la fenêtre en même temps. Ça soufflait déjà fort à l'arrêt et on a beau rouler tranquille, elle en prend plein les yeux. Mais c'est que c'est beau là dehors. C'est déjà beau qu'elle n'ait pas la nausée, parce que regarder par le viseur quand ça secoue comme ça… Un coup t'a le ciel, un coup t'a la terre ; c'est pas des z'oizeaux en plein vol mais c'est pas facile à cadrer quand même. Elle en avait assez que l'objectif tape contre la vitre et de toutes les façons ça fait un voile et des tâches. Elle pense au travail de Sylvie sur les photos quand même !

 Le désert de Dali et ses couleurs surnaturelles dues aux minéraux - 4750 m d'altitude 
  Le désert de Dali 

Sylvie se mord les doigts d'avoir montré à Anne le principe de la rafale ; mais pourquoi s'est-elle payé sa tête quand elle entendait un malheureux clic de déclenchement de temps en temps ? Voilà que ses oreilles sont assaillies par les cris de l'appareil de Anne qui mitraille toute la cordillère ; à croire qu'elle veut mettre toutes les faces du Licancabur en boîte et en donner sa version 3D. Ça se voit que c'est pas elle qui trie les photos. Elles ne savent même pas si elles auront de l'électricité ce soir, si elles pourront seulement décharger les milliards de clichés qu'elles vont faire si ça continue comme ça.

« Mais j'y peux rien !! C’est beau partout !! » déclame Anne

 Les vigognes 
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Les chaos, les mouvements brusques s'enchaînent sans relâche depuis un certain temps déjà. Le problème du moment c'est qu’ils s’accompagnent presque tout le temps de la plus bolivienne des musiques qui soit. C'est pas qu'elles n'en reconnaissent pas la valeur mais – comme tout contexte musical – quand c'est pas le vôtre ça finit par saturer.

Anne sent son crâne exploser, ses pulsations cardiaques y ont élues domicile. Cependant son attention se porte sur l'occupation de leurs chevaliers servants ; ils mâchent des feuilles de coca. Ils semblent y trouver un plaisir manifestement quotidien. Crisu ne semble pas avoir ses réflexes affectés, ce qui tend à rassurer Anne.

Achat de la coca à l'épicerie du coin - et Anne tentant de soigner son mal de crâne avec les sachets d'infusions de Maté de coca 

Elle n'y tient pas, elle veut tenter l'expérience. Innocemment elle demande ce que c'est les trucs verts là dans le sac. Crisu explique et vante combien c'est bon pour le mal de tête, la digestion, la vigilance et que c'est même antiseptique.

Ah ben ça alors elle essaierait bien !! Dit-elle vu qu'il ne se précipite pas à lui en proposer. Sylvie qui n'avait pas tout compris jusque là s'en mêle, et les voilà toutes deux, mâchouillant quelques feuilles. Plus exactement Sylvie très vite les avale, ne comprenant pas qu'il faut les garder dans la bouche et passe à côté de la merveilleuse expérience de sentir sa langue s'endormir légèrement, avec un goût d'herbe sèche et de résidus de paille qui se faufilent entre les dents. Soit...

Le mal de tête de Anne lui non plus n'est pas affecté par la feuille de coca, mais Anne prétend le contraire pour ne pas perdre la face. Elle se détourne de l'expérience pour s'adonner aux gaz toxiques de leur nouvelle expérience photographique ; elles viennent d'arriver au sol de Mañana .

Le Sol de la Mañana et son odeur d'oeufs pourri 
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à la recherche des Flamands 

Sylvie a faim. Anne a faim aussi… Mais les boliviens, là devant, ils ont faim quand au juste ? Ni l'une ni l'autre n'osent demander mais comme d'habitude, c'est à Anne que revient la tâche ingrate de passer pour la quémandeuse ; c'est le côté chiant de dépendre de quelqu'un, surtout quand on le connaît pas.

Alors Anne rassemble tout son Karma positif et dit (en espagnol mais économisons la chose) « c'est possible de savoir quand on mange ? Sylvie a faim »… Autant profiter du privilège d'être celle qui parle pour passer pour celle qui fait pas chier n'est-ce pas ? Cependant, si Anne avait mieux maîtrisé l'espagnol, ça aurait donné un truc du genre ; nous souhaiterions savoir quand vous envisagez la halte du repas, mais faîtes ce qui vous semble le mieux… À défaut ça ressemble plus à deux sales gosses qui n'en peuvent plus d'avoir envie de pisser. En même temps, ça aussi elles en ont de plus en plus besoin.

 Le repas est servi et on mange des frites au milieu de nulle part

Super ! La question vient à point ; c'est juste là dans quelques instants, à la « Laguna Polkes ». « Allez donc faire CLICK CLICK CLICK, pendant que nous installons la table du repas. Faîtes donc trempette si le cœur vous en dit. » Heu, environ dit comme ça en espagnol.

Elles sont bien vite cernées ; sont-elles si prévisibles ?

La laguna Polkes et ses sources chaudes - 4000 mètres 

Elles vont donc CLICK CLICKER en se réjouissant de ce que les photos se prennent presque toutes seules tant la palette des teintes, matières et compositions sont riches. Mais déjà José les appelle. Sylvie quitte le muret où Anne, ravie, vient de la surprendre dans une posture « avantageuse ». Brutalement un rappel purement physique propulse Anne à la recherche des toilettes. Elle revient, hilare, dans la salle commune du refuge où le repas a été dressé. Elle est toute à la joie de ce que Sylvie va découvrir quand elle va, à son tour explorer le système local de tri des déjections humaines. Elle se fait un plaisir de lui tendre les 2 bolivars qu'il lui faudra pour recevoir son compte de papier toilette.

Comment bien utiliser les toilettes  

Quand finalement l'équipe prend la route, le pantalon de Sylvie est trempé, ainsi qu'une bonne partie de la jupe d'Anne ; mais pourquoi donc ont-elles finalement cédé aux sirènes du bassin thermal ? Frileuses à s'y plonger complètement comme tous les touristes de passage, elles se sont lamentablement contorsionnées, tentant de trempouiller les pieds, sans glisser sur les pierres couvertes de mousse aux couleurs photogéniques mais peu ragoûtantes au contact direct. Ne rien louper. C'est un leurre auquel elles n'ont pas encore appris à échapper après toutes leurs balades.

 Des paysages ressemblant à des tableaux 
 La laguna Colorada  - 4278 mètres 
  La laguna Colorada prisé par les flamands roses pour leur reproduction - 4278 mètres 
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  Les lamas

Whaou !!! Des lamas !!! Sylvie est heureuse. Vous lui donnez 2 lamas et trois flamants roses et elle plane. Elle CLICK CLICK à qui mieux mieux et personne, même un pro de la gâchette numérique, ne saurait l'égaler. Elles n'en sont pas à leurs premiers bestiaux du genre depuis le début du périple mais depuis le début du jour sa dose de lama n'était pas atteinte. En arrivant au refuge du soir, un joli petit troupeau, petits rubans de couleur aux oreilles, le pas facétieux, lui tend une flopée de museaux curieux.

 Notre hébergement dans la cordillière

Quand elles descendent du 4x4, elles sont fatiguées, certes, mais très attentives ; parties les dernières le matin, elles craignent un peu les conséquences sur le choix qu'il risque de leur rester en matière de chambre. Ce ne sont pas des 4 étoiles dans les parages et ils ne sont pas légions. Toute la jeunesse qu'elles croisent depuis ce matin leur a bien fait comprendre qu'avec leurs 47 ans bien sonnés elles faisaient figure d'ancêtre dans le secteur et elles craignent un peu l'expérience dortoirs.

C'est sans compter les compétences de Crisu ; partir le dernier – pas trop tôt – arriver le premier – pas trop tard – semble être sa devise.

Ils sont les premiers à choisir jusqu'à la table où elles vont manger ; juste en dessous d'une des rares lampes qui resteront allumées après le démarrage de l'électrogène. Car, pour un temps seulement, il y a l'électricité et les milliards de photos prises dans la journée pourront être déchargés.

Petits gâteaux, petit thé, petite sieste. Elles sont gâtées au milieu de ce rien, dans des baraquements en parpaings où d'autres, dont des enfants, ne se contentent pas de passer mais vivent toute l'année.

Ils passent entre les tables, à l'heure de la soupe, tentant de réciter à toute allure des poèmes ou d'obscures chansons et font la quête, sans doute pour s'acheter 2 ou 3 bonbons à l'espèce de magasin moins fourni que la supérette d'un camping sans étoile.

 Séance photo avec les enfants du gite aux petit matin 

Sylvie est ravie ; il fait froid ce soir, très froid et tout l'attirail qu'elle a acheté sur Internet et à Décathlon va leur servir. Anne bougonne en enfilant son Damart ; peut-être il pue – prétend-elle – mais elle le met, les chaussettes aussi, les gants pareils. À peine a-t-elle fini que les lumières s'éteignent ; s'en est fini de l'électricité pour ce soir, tout le monde doit dormir à 22h, en plein nulle part. Ce sont les petits jeunes qui doivent bisquer de ne pas pouvoir faire la fête.

Au matin Sylvie est pimpante, Anne ne peut quasiment plus ouvrir les yeux ; la nuit ne lui a pas chassé son mal de tête et leur jeune cuisinier a une tête de déterré. Après prise d'information, il semblerait que les ronflements de Crisu aient été fatals pour son sommeil ; Anne se sent solidaire.

Pas d'eau chaude. Il n'y en avait pas la veille non plus. Sylvie, victorieuse, sort ses lingettes. Décidément, qu'est-ce qu'elle se sent bonne organisatrice. Anne se sent juste mal. Elles se sentiront toutes les deux à peu près propres. Comme quoi elles sont capables de s'entendre, parfois.

 L'arbre de pierre et le désert de Siloli  
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La coiffure locale 

Anne et Sylvie ont adopté la coiffure locale ; le jeté de cheveux sur le côté fixé au sable ou au sel, selon l'état géologique du lieu. Il faut dire qu'elles n'ont pas grand mal à s'adapter. Le vent les y aide sans relâche. Il leur donne aussi ce teint de pêche le matin, avec son petit fond cru. Quand la matinée monte progressivement en température, elles abandonnent les polaires, les collants et autres sous-couches protectrices, pour finir en Tee-shirt en début d'après midi, quand justement il faudrait se couvrir pour éviter les morsures du soleil. En quelques minutes il roussit le cuir chevelu, là, juste au niveau de cette raie qu'Anne s'obstine à dessiner dans sa tignasse pour ne pas perdre toute dignité esthétique. Sylvie échappe – comme à son habitude – à ce genre de considérations et garde fièrement les lunettes rouge écarlate que ce même soleil lui a dessinées autour des yeux, refusant obstinément à se tartiner des crèmes qu'Anne lui propose.

 La route des joyaux avec ses nombreuses lagunes Ramadas, Charcota, Honda, Hediondas  - 3860 mètres

Mais Sylvie trépigne ; le Salar se fait attendre, menace même de se rendre inaccessible. Il a plu sur les abords de l'immense mer de sel et la route se fait boueuse sous une fine couche qui craquelle. Le 4x4 dérape et Crissus décide de faire demi tour. Anne s'amuse ; les imprévus venus contrariés la bonne marche d'un périple trop balisé la ravissent. « Oh mince alors on va pas y allez ? » dit-elle en prenant sa mine la plus déconfite possible.

 La route vers le salar est trop boueuse, il faut faire un détour...

Mais non, on fait juste un détour. Et voilà que ce qui doit être vu sera vu. Enfin voir… un truc tout blanc bien plat à perte de vue… c'est clair qu'on a le temps de voir ce que c'est une fois qu'on y est.

Sylvie jubile, Anne s'ennuie. Elle se concentre sur le craquement que produisent les pneus sur les cristaux de sel et philosophe silencieusement sur le surprenant engouement de Sylvie pour une étendue de pas grand chose ; il y a de l'exceptionnel à voir Sylvie dans un tel état pour un environnement qui nécessite de faire la pêche aux détails. La voir bercée par la subtilité des pas grands choses contrastant avec les différences des presque rien émeut Anne et lui révèle un côté de Sylvie que celle-ci lui a farouchement caché depuis toutes ces années. Où alors, Sylvie se paye royalement sa tête.

Anne rit donc de cette soudaine passion du blanc et s'en va photographier cristaux comme-ci et cristaux comme-ça, « pourrissant » son Tee-shirt pour faire une photo composée que la belle Sylvie tient absolument à faire « si si tu va voir ! ». A c'est sur qu'elle a vu le sel de très très près, Anne, allongée par terre, pour recopier une super photo que Sylvie a vu sur Internet. Anne jubile.

 Enfin le Salar !!!   et ses blocs de sel, nous nous amusons à faire des trompe-l'oeil
Nous nous amusons à faire des trompe-l'oeil 
 Notre hotel dans le village de San Juan de Rosario
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L'extraction du sel.  
 Colchani est un minuscule village où les familles vivent de l'extraction du sel. 

Au milieu de la mer de sel, il y a une île couverte de cactus. Tous les bus y font halte, déversant chacun une tripoté de voyageurs suants et épuisés. On y mange, on y visite les cactus, et on repart à l'assaut de l'autre côté de la mer de sel. Anne ne comprend pas ; des cactus, il y en a ailleurs, pas autant, mais au moins aussi beau et personne ne s'y arrête pour les admirer. C'est comme toutes les pierres qu'elles ont vues ; certains endroits ont étés élus comme devant être les points d'attraction, ceux où tout le monde s'arrête. Et pourtant Crisu leur a fait traverser tant d'espaces où elles se seraient bien arrêtées.

L'île Incahuasi au milieu du salar d'Uyuni 

Elles auraient bien aimé élire deux trois cactus qui auraient été les leurs et non pas cet endroit qui appartient à tous ceux qui ont accepté de payer la petite balade qu'elles ont vite renoncé à faire ; elles avaient trop peur de s'y casser la figure.

Sylvie prend un dernier cliché du haut de son promontoire ; elle ne sait pas si celui-ci aura bonne place dans son album mais le plaisir de voir encore une fois cette étendue lumineuse et scintillante entre les immenses troncs des cactus la ravit.

L'île Incahuasi  et ses nombreux cactus

Elle aperçoit aussi l'endroit où elles ont mangé, du moins elle le croit. Elle rit toute seule de l'image qu'elle garde en tête de Crisu retenant le parasol d'une main pendant qu'il essaye de manger de l'autre. Un coup de vent a brutalement déplacé le parasol, plaçant la toile entre la tête de José et sa fourchette. Ils s'étaient battue à 4 pour essayer de le fixer un tant soit peu, sans succès.

Elles ont profité de leur privilège et fuient dans les cactus, leur laissant la charge de plier bagage, Anne chargée de son habituelle culpabilité, Sylvie allégée de celle d'avoir acheté le service en question.

Crisu et le parasol 
 Le salar d'Uyuni sous la pluie , le ciel se reflète dans le sel 
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Elles regardent avec incrédulité les multitudes de petites formes souples accrochées à la moindre pouce de végétation onduler au vent. Plastiques, papiers, fils, objets indéfinissables, … il y en a une quantité indénombrable. Plus ils approchent e la ville d'Uyuni, plus cet étrange décor se fait dense et plus elles ont de la peine devant ce ravage. Anne pense à ces photos récemment vues de carcasses d'animaux en décomposition révélant des estomacs remplis de déchets plastiques. Avant ces photos, elle pensait que les animaux, d'instinct, ne mangeaient que ce qui était bon pour eux. Mais manifestement ce sont des chose qui plutôt se transmettent et ça ne fait pas depuis si longtemps que ça que l'homme pollu sa terre ; ce poisson là n'a pas encore fait son chemin dans la chaîne culturelle animalière. Et Anne s'inquiète de savoir s'ils en auront seulement le temps avant de disparaître. Et Anne soudain déteste être une de celle qui sillonnent en 4x4 ces terres, en avion ce ciel, en plastique cette terre.

 Le cimetière de train d'Uyuni 

La ville blanche dit-on, pour Anne, est la ville « retour à la réalité ». Pour enfoncer le clou, Crisu les amènent au cimetière des locomotives où trônent, auréolées des mêmes dépotoirs, les carcasses des machines à vapeur qui firent rageusement la navette entre la Bolivie et le bord de l'Océan pour transporter les minerais arrachés aux montagnes environnantes. Toutes de rouille et de tags vêtues, elles ne sont plus que d'immenses « cage à écureuil » où quelques curieux viennent se perdre.

Fin du voyage avec Crisu et San José à l'hotel de sel Playa Blanca 

Fin d'un voyage, début d'un autre, elles quittent Crisu et Jose pour Romualdo ; le frère du premier pour traverser la cordillère jusqu'à Potosi.

Manifestement, à Uyuni – ne généralisons pas trop – le travail se trouve en famille.

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 Les fabuleux paysages de la cordillière

Mais Romualdo n'a rien de la bienveillance attentive de son frère ainé, de la conduite réfléchie de celui-ci, ni de la connaissance du terrain.

« Il va péter la voiture je te dis » ne cesse de répéter Anne à Sylvie qui ne la contredit en rien. « T'en as pas marre, toi, de 'la Bamba' dit ? » Car ça fait quelques heures qu'en route vers Potosi. Romualdo les bassine de cette musique oh combien locale et authentique, mais particulièrement usante pour les tympans peu entrainés.

Il faut dire que la gageure n'est plus la même ; il ne s'agit plus d'admirer le paysage mais bien de raccorder 2 points le plus vite possible. Et on sent bien qu'on leur a refourgué un expert en la matière ; personne ne se risque à doubler Romualdo. Aucune route ne saurait lui porter conseil. Cependant, à bien y regarder, il ne dépasse jamais le 90 à l'heure car l'état de l'asphalte, quand il y en a, ne le permet pas. Sylvie pense, ironique, que cet homme serait heureux sur une autoroute française et n'en croirait pas son accélérateur.

Mais ce qui doit arriver arrive ; une roue crève ; la route a été plus forte que Romualdo.

 La crevaison qui nous fit prendre 2 heures de retard  
Au milieu de nulle part nous regardons les voitures passées en attendant de repartir  

Anne qui n'a aucun regard compatissant pour l'homme qui vient de refuser leur aide sans va se lover à la fraîcheur d'un rocher, à 200m de là, un peu plus haut. Elle admire le décor et les efforts d'un beau camion bleu tout poussif, qui, péniblement monte la côte par petits bonds de quelques centaines de mètres puis s'arrête, puis reprend.

Sylvie, elle, reste subjuguée par le phénomène Romualdo. Trop précipité dans ses manœuvres pour changer la roue, il fait s'affaisser le 4x4. Elle assiste alors à une technique élaborée et laborieuse consistant à progressivement glisser des pierres sous le châssis du véhicule au fur et à mesure de la montée du cric qui, à tout moment, menasse de chasser dans le sol meuble.

Si elle admire la technique, elle rigole du résultat ; Fi du record de Romualdo. Une fois la roue changée ils repartent et ne recroisent pas le camion bleu. Pourtant il n'y avait qu'une seule route ; il serait arrivé à Potosi avant eux ?

Le seul véhicule qui se risquera à doubler Romualdo et que celui-ci laissera faire est un camion d'acide sulfurique… et sur ce plan là Anne et Sylvie sont raccords avec Romualdo ; quand un truc pareil vous double il vaut mieux laisser faire. Et y'a pas à se tromper, le chauffeur du gros camion, il voulait vraiment arriver le premier… à la frontière. C'était un tout petit gars, haut comme trois pommes. Si si ! Anne et Sylvie l'ont recroisé devant le chef du poste frontière ; il avait un immense sourire. Anne et Sylvie aussi souriaient.

Moment de vie à Potosi 
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Anne ne comprend pas ; mais pourquoi n'ont-elles rien écrit sur ce dernier jour ? Étaient-elles trop fatiguées ? Trop flemmardes ? Sylvie n'en sait pas plus. Allez raconter quelque chose de précis après plusieurs années à crapahuter dans plein d'autres pays !

 Les mines d'argent de Potosi  - Cerro Rico donc le  surnom est  : « La montagne qui mange les hommes ».

"Mais siiii ! Rappelles toi comment tu avais l'air ridicule dans ta tenue de mineure !!! " dit Sylvie en affichant en gros plan la photo de Anne emballée dans un pantalon tout crotté et chaussée de bottes malodorantes. "Et dis ! Toi non plus t'avais pas l'air très glorieuse ! "

Et Anne sent surtout remonter à la surface cette drôle d'impression de ne pas être à sa place dans cette ambiance de labeur miséreux. En se dirigeant vers la mine elles apprennent peu à peu les conditions catastrophiques dans lesquelles ces hommes, tous les jours, 10 heures d'affilées, vont trimer sous terre. Elles comprennent mieux pourquoi la guide leur a fait acheter de la feuille de coca et cette drôle de pâte faite à base de chaux qu'elles vont offrir aux mineurs rencontrés au long de leur descente dans la mine ; ils la mâchent pour anesthésier leur faim et leur fatigue, tout en bousillant leur santé et leurs dents tant le mélange est certes puissant mais aussi corrosif. Elles y ont ajouté quelques bâtons de dynamite, vendu comme si c'était des feux d'artifices. Les mineurs ont en effet à acheter tout ce qui leur est nécessaire ; rien ne leur est fourni à part les wagonnets pour acheminer le minerai à la surface.

 L'agence qui nous fournit les équipements et les billets

Au cours de la descente elles croisent la statue "d'El Tio" le dieu protecteur des mineurs qui a plus l'air d'un démon auquel il faut déposer des offrandes pour éviter qu'il se retourne méchamment contre vous s'il n'est pas content. Dans cette drôle d'ambiance de plus en plus étouffante elles finissent par rejoindre un homme plié dans un boyau en train de taper avec une pioche sur la paroi couleur anthracite.

Anne n'écoute plus trop les explications de la guide. Elle aimerait sortir de ce sinistre endroit. C'est à peine si elle remarque les pierres semi-précieuses qu'exhibe le très jeune mineur dans une petite boîte en bois, désireux de les leur vendre afin d'améliorer son ordinaire. Ni l'une ni l'autre ne sont tentées et c'est avec soulagement qu'elles et leur guide rebroussent chemin vers la surface.

"On a fait quoi après la mine ?" Demande Anne.

Un expérience minière de quelques heures  
 Les femmes vendent des pains à la sortie de la mine, d'autres ramassent les débris d'argent ou de zinc tombés des chariots
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Quelle est cette église ?  

Elles se rappellent aussi la promenade qu'elles ont faites le long des rues et des églises de Potosi, prenant leur inévitable tribu de photos. Elles y ont aussi goûté d'excellent chaussons de pomme de terre, le jour des pré-inscriptions scolaires, raison pour laquelle il y a tant de monde dans les rues ce jour-ci.

Il y a eu également cette surprenante discussion avec une jeune villageoise montée à la ville, dans un espagnol que ni Anne ni elle ne maîtrisaient correctement, mais qui a laissé entrevoir à quel point celle-ci n'avait qu'une très vague connaissance géographique de ce qui dépassait les limites de sa propre région. Impossible de lui faire comprendre de quelle partie du monde nous venions tant cette spatialité là, lui échappait.

 Un aperçu de Potosi 
Ses passages zébrées 
 La place centrale 
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"On a fait quoi après la mine ?" Demande Anne.

"Le couvent. " réponds Sylvie.

couvent Santa Teresa  

Ah oui ! Cet autre enfer réservé aux jeunes filles, cadettes de celle qui auront eu la chance de faire un bon mariage bien doté. Elles rentraient à peine pubères pour ne jamais en ressortir puisqu'elles étaient à la fin de leurs vies de recluses enterrées dans l'enceinte même du couvant. Que la nature humaine réserve de splendides destinés à ces enfants !

Anne commence à comprendre pourquoi elles ont fait l'impasse sur cette partie de leur périple.

Après ?

Et bien après il y a dû y avoir notre dernier repas dans la cordillère. Bye bye les immenses terres colorées des hauts plateaux qui ont marqués nos mémoires de l'un de nos plus beaux souvenirs.

"Tu deviens lyrique avec le temps" dit Sylvie d'un ton goguenard à Anne.

 Retour vers  San Pedro d'Atacama au Chili 
 Fin du voyage